Un bon brief n’est pas bref - Épisode 3 by Tania Ocana de L'École du Recrutement
Cet automne, Jean-Michel Talent fait sa rentrée des classes sur les bancs de L'École du Recrutement. Pour cette sixième série, 7 expertes et experts cassent toutes les idées préconçues sur le recrutement : les annonces, les outils RH, l'essence même du recrutement, tout est passé à la loupe !
Episode 3 : Un bon brief n'est pas brefpar Tania Ocana. On y va ?
Mes 4 techniques pour élaborer un bon brief avec un manager pressé.
On a toutes et tous connu Julien. Julien c’est ce manager ou ce client, qui n'a pas le temps et nous tend le CV de Robert ou un post-it avec 3 critères.
Et on a toutes et tous accepté le brief parce que de toute façon c’est le manager, après tout, si c’est ce qu’il veut alors on va le faire. Sauf que je me suis rendu compte qu’à chaque fois que j’ai accepté, c’était une catastrophe.
Parce que, forcément : il me manquait énormément d’informations et du coup tout prenait plus de temps. Je ne recevais aucun CV car mon annonce était généraliste, mon sourcing était trop large et j’avais plus de mal à convaincre les candidat•es. Et assez souvent, Julien le manager pressé se souvenait d’un critère important en plein milieu du process, un critère si important que je devais tout recommencer.
Dans le même temps, j’avais découvert avec un autre manager que lorsqu’on me laissait la possibilité de faire un brief très complet, je pouvais écrire une annonce qui attire des personnes vraiment qualifiées pour le poste, cibler avec précision mon sourcing et faire une évaluation assez précise pour n’envoyer que des candidat•es vraiment pertinent•es. Le rêve non ?
Alors un jour j’ai dit NON au brief trop bref. Et j’ai décidé que cela allait être une vraie limite professionnelle. Mais… Julien était toujours Julien. Julien était toujours pressé. Donc j’ai commencé à tester plein de méthodes pour obtenir les informations dont j’avais besoin même face à un manager pressé.
Je vais vous présenter mes 4 techniques, de la plus douce à la plus ferme pour obtenir un bon brief.
Petit refresh, dans un bon brief on trouve :
Ce que l’on propose pour pouvoir vendre le poste par message ou annonce.
Quels aspects de ce poste et de l’entreprise sont susceptible d’améliorer la vie professionnelle du talent qui exerce ce poste ailleurs ?
Ce que l’on évalue pour ne pas avoir à ré-ouvrir ce poste dans 3 mois .
2-3 missions du poste où il y a la conséquence la plus grave en cas d'erreur.
Les connaissances indispensables et les savoir-faire relationnel et technique nécessaires pour mener à bien ces missions.
Ce que l’on recherche pour m’aider à cibler mon sourcing.
Est-ce qu’il existe des événements, des communautés où se retrouvent ces profils spécifiques ?
Comment on fonctionne pour avoir un process de recrutement qui ne tue pas l'expérience candidat.
Avez-vous des disponibilités dans votre agenda pour faire passer des entretiens dans 2 à 3 semaines ? Sinon, quand ?
Technique 1: Proposer des alternatives au RDV de 1h30
Dans l’idéal, j’ai besoin de facilement 1h30 pour avoir un brief complet. Mais dans la réalité, Julien n’est pas prêt à m’accorder 1h30.
Alternative 1 : découper le brief
Julien n’a pas le temps pour 1h30 de brief ? Et bien qu’à cela ne tienne, on peut commencer par proposer de couper le brief en plusieurs parties, 20 min par ci, 15 min par là. Ça permet de faire passer plus facilement la pilule. En étant méthodique, je peux cibler en priorité les informations dont j’ai besoin immédiatement pour le premier échange, puis revenir à la charge pour les autres.
Dans tous les cas, la phase de brief ne se finit jamais.
Tout au long de la collaboration , je vais récolter des nouvelles informations. Le brief est une série en plusieurs épisodes jamais un film avec une fin claire au bout d’1h30.
Alternative 2 : commencer à l’écrit
J’ai connu un manager surbooké qui sourçait le soir sur Linkedin avant de se coucher. J’ai donc compris que des fois Julien ne peut pas me bloquer du temps synchrone dans sa journée, mais qu’il a beaucoup moins de mal à trouver du temps asynchrone.
Par conséquent, quand ma proposition de découper le brief ne marche pas, je propose de commencer en envoyant quelques questions à l’écrit. J’envoie des questions assez faciles, notamment des questions liées aux objectifs à atteindre, aux missions, projets en cours de l’équipe et méthode de management. Mais je n’inclus pas de questions sur la partie la plus complexe : les critères de recrutement.
Pour ce point, j’ai besoin d’un rendez-vous, même court, pour creuser et challenger ses demandes. C’est la partie que je n’arrive pas encore à bien faire à l’écrit.
Procéder à l’écrit permet à Julien de caler la tâche à un moment plus calme de sa journée et ça fait toute la différence.
Alternative 3 : déléguer à l’équipe
Et si le brief était un sport d’équipe ? Le futur manager direct n'est pas le seul qui peut nous renseigner. En priorité, je vais demander à Julien s’il peut déléguer à quelqu'un de son équipe. Ils ont souvent un peu plus de temps, et pour certaines questions, l’équipe est même la mieux placée pour décrire les difficultés et atouts du poste, le style de management, donner des pistes de sourcing, et même préciser des compétences techniques.
Technique 2: Montrer votre travail
Si aucune de mes alternatives n’a marché, je vais simplement lui envoyer toute ma préparation et mes recherches sur le poste accompagné d’un “j’ai pas mal de questions sur le poste, là je suis vraiment bloquée”.
En prenant cette initiative, je veux lui montrer que je suis déjà bien préparée, notamment pour le rassurer.
Une des craintes fréquentes chez les managers qui ne voient pas l’intérêt d’un brief approfondi, c’est de devoir répondre à des questions basiques, dont les réponses se trouvent déjà dans la fiche de poste. En lui montrant ma préparation, il verra que j’ai déjà assimilé ces éléments essentiels.
Si j'insiste autant pour le voir, c’est pour les questions où il a une réelle plus-value.
Voici un aperçu de ma préparation d'avant-brief.
Objectif : venir au rendez-vous avec une bonne compréhension du poste et des questions très précises.
Voici la liste de mes sources d’information que j’analyse dans l’ordre d'utilisation :
1. Les documents internes : descriptif de poste, anciennes annonces, document métier (process, infos, etc)
2. Les annonces concurrentes :
Je cherche les autres annonces qui ont un intitulé proche de mon poste.
Je me concentre sur les tâches, les missions et les compétences demandées dans ces annonces.
J’étudie entre 3 à 10 annonces.
3. Les profils LinkedIn des personnes qui font ce métier : Je vais regarder plusieurs profils et je note les missions récurrentes et les compétences clés, je repère des différences et j’en garde si je dois activer la technique 3 …
Technique 3 : Utiliser un prétexte
Si Julien reste insensible, j’ai encore une carte à jouer. Et dans la famille “prétextes”, j’appelle la carte “J’ai fait du sourcing, mais j’hésite”…
C’est le plus efficace que j’ai trouvé, mon équivalent du miel pour les abeilles, c’est des CV à regarder…
Pour cela, je commence mon sourcing avant le brief, ce que j’appelle du pré-sourcing, je n’ai pas les vrais critères, mais je me base sur le post-it ou l’ancienne annonce (ce que Julien a bien voulu me donner).
Je cherche volontairement des profils assez différents. Puis, je contacte Julien pour lui dire que je lui ai trouvé des CV mais que j’hésite à contacter et que j’aimerais éclaircir avec lui de vive voix ses critères de recrutement.
Mais attention ! Il ne s’agit pas de capituler. Certes j’ai accepté le brief trop bref, certes j’ai commencé la recherche MAIS c’était dans l’unique but de le faire réagir, dans l’unique but de pouvoir me servir de ces CV comme prétexte. Donc je ne lui envoie surtout pas par email. Même s’il me le demande. J’insiste pour l’avoir de vive voix.
En effet, sinon, je risque d’avoir une réponse brève à l’écrit. Mon véritable objectif serait alors raté. Mon objectif, rappelez-vous, est de provoquer un rendez-vous de brief, pour creuser et challenger ses critères, pas vraiment de valider ces CV. Le brief pas bref.
Et si vraiment Julien insiste pour que je lui envoie les CV par email, je reste ferme et je passe à ma dernière technique.
Technique 4 : Mettre en pause le recrutement.
Si après toutes ces propositions, Julien n’a pas réussi à libérer 20 min pour échanger avec moi, a minima sur ses critères, je suis plus ferme : pas de brief, pas de recrutement.
Et je lui propose de mettre en pause le recrutement. On reprendra dans 3, 4, 6 semaines, quand il pourra bloquer du temps pour ce recrutement. Avant de proposer cela à Julien, je m’assure d’avoir le soutien de nos supérieurs hiérarchiques.
Et il faut le faire en comprenant sa situation : Julien n’a pas forcément son calendrier synchronisé avec le moment où l’ouverture du poste a été validée.
Ça peut paraître dur mais j’ai appris, à force de le faire, que c’était une mauvaise idée de continuer avec Julien s’il ne peut pas du tout bloquer du temps. C’est un red flag pour la suite.
Un bon recrutement ça demande du temps. Si l’agenda de Julien ne lui permet pas de se libérer en ce moment, il vaut mieux ne pas bâcler et attendre que ça soit le cas.
Parfois, il vaut mieux reculer pour mieux sauter recruter.
J’ai utilisé ces techniques en tant que recruteuse interne et externe. En interne, il est important d’avoir le soutien du manager voir encore plus haut, le ou la CEO. Cela peut aider si “Julien” n’est ok pour aucune de ces solutions. Pour l’externe, en tant que prestataire, c’était plus simple. Je présentais ma méthodologie et mon besoin d’avoir assez d’éléments en brief avant même la signature du contrat. Donc mes client•es n’étaient pas surpris par mes relances.
Recruter c’est par essence collaborer, donc on s’adapte, on fait des compromis, et ces techniques en sont. Je ne veux plus travailler en aillant trop peu d’information. C’est ma limite, et j’essaye de la communiquer avec diplomatie, afin de construire une collaboration saine et respectueuse du travail de chacun•e.
Et vous, quelles sont vos limites professionnelles ?
Cet épisode vous a plu ? Ca tombe bien, on en a 4 autres en stock ! Rendez-vous le 14 novembre avec Mohamed Achahbar et un nouvel épisode inédit "Le recrutement n’est pas RH" .
En attendant, vous pouvez me retrouver sur LinkedIn.